Harcèlement sexuel : quand Twitter fait office de prétoire

La parole des femmes se libère grâce aux #BalanceTonPorc ou encore #MeToo. Mais comme l’a souligné Marlène Schiappa – secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes – les réseaux sociaux ne sont pas des juridictions.
Ces initiatives ont mis en lumière le fait que les problématiques liées au harcèlement sexuel n’ont pas été au centre des débats depuis des années. Ainsi, la dernière réelle enquête en la matière avait été réalisée par l’IFOP en janvier 2014.
 
Depuis lors, le silence s’est fait et cela est d’ailleurs la conclusion de cette enquête puisqu’une femme active sur cinq a été victime de harcèlement sexuel au travail et que près de trois victimes sur dix n’en parlent à personne.
 
Il convient de s’interroger sur les raisons de ce silence qui étouffe les victimes.
 
Pourquoi il apparait aujourd’hui plus opportun pour les victimes de dénoncer sur les réseaux sociaux les faits subis, plutôt que de s’en remettre à la Justice ?
 
La réponse judiciaire est-elle à hauteur ?
 
La réparation octroyée diffère selon que l’action est engagée par devant la juridiction prud’homale ou la juridiction pénale.
 
D’une part, le harcèlement sexuel est défini aux termes de l’article L1153-1 du Code du travail qui énonce :
« Aucun salarié ne doit subir des faits :
1. Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2. Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers. »
 
Cette définition est suffisamment large pour laisser une évidente latitude aux juridictions pour définir, au fil de leurs décisions, les faits qui doivent être considérés comme du harcèlement sexuel.
 
Il a ainsi été jugé que constitue un harcèlement sexuel, le fait pour un salarié d’avoir tenu des propos à caractère sexuel et d’avoir eu des attitudes déplacées à l’égard de personnes avec lesquelles l’intéressé était en contact en raison de son travail et ce, même si les agissements ont eu lieu en dehors du lieu et des heures de travail (Cass. soc. 19 octobre 2011, n°09-72.672).
 
Également, le fait pour un supérieur hiérarchique d’abuser de son pouvoir envers une de ses subordonnées en vue d’obtenir des faveurs constitue un harcèlement sexuel et même lorsque de telles pressions ont été exercées en dehors du temps et du lieu travail (Cass. soc. 11 janvier 2012, n°10-12.930).
 
De même, les propos déplacés à connotation sexuelle et les pressions exercées afin d’obtenir des faveurs sexuelles constituent un harcèlement sexuel (Cass. soc. 18 février 2014, n°12-17.557).
 
Néanmoins, malgré une jurisprudence établie, on assiste – malheureusement – à une certaine résistance des cours d’appel.
En effet, les décisions récemment rendues par les cours d’appel semblent aller dans un sens qui dessert les victimes, dans la minimisation des actes, de la souffrance.
 
Ainsi, il peut être fait mention d’un arrêt rendu très récemment par la cour d’appel de Paris. L’existence d’un harcèlement sexuel n’a pas été retenue par le juges du fond puisqu’ils ont estimé, aux termes d’une motivation succincte, que même si « les courriels incriminés sont, manifestement, vulgaires et déplacés dans un contexte professionnel, ils ne revêtent aucun caractère pornographique ».
 
Or, les magistrats ont retenu l’absence de tout harcèlement sexuel puisque de leur point de vue le harcèlement sexuel n’aurait pu être constitué que si les mails adressés avaient eu un caractère pornographique (Cour d’appel de Paris, Pôle 6 Chambre 9, 4 octobre 2017, n°15/09214).
 
En retenant cette argumentation, il semblerait que la cour d’appel ait ajouté une condition à l’article du Code du travail qui explicite que le harcèlement est constitué par « des propos ou comportements à connotation sexuelle ».
 
Face à cette motivation, on s’interroge sur la banalisation des comportements déviants, des blagues à caractère sexuel.
 
Marie-France Hirigoyen, psychiatre, a souligné que la dénonciation du harcèlement sexuel est plus difficile culturellement en France que dans les pays anglo-saxons. En effet, les entreprises américaines disposent de cellules de lutte contre le harcèlement sexuel, ce qui facilite l’ouverture et le dialogue. A contrario, la culture française tolère beaucoup plus facilement les blagues « lourdes, grivoises ».
 
Dans ces circonstances, la Haute juridiction doit poursuivre son travail dans un sens plus protecteur des victimes. Ainsi, la Chambre sociale a notamment cassé un arrêt de la cour d’appel de Versailles qui avait écarté la faute grave d’un salarié, retenant l’absence de tout harcèlement sexuel alors qu’il avait adopté un comportement insistant, violent et évolutif se concluant par l’envoi d’un mail pornographique, insultant et dégradant (Cass. soc. 13 juillet 2017, n°16-12.493).
 
Par ailleurs, l’avantage de la procédure prud’homale est son aménagement spécifique s’agissant de la charge de la preuve puisqu’il incombe au salarié d’exposer des éléments laissant présumer l’existence d’un harcèlement sexuel. L’employeur devra démontrer que les comportements adoptés étaient justifiés et ne découlaient aucunement d’un harcèlement sexuel.
 
Les éléments pouvant constituer lesdites preuves sont de différents ordres. On peut notamment songer à des attestations de collègues ayant été témoins des faits ou encore à des mails.
 
Il ne peut également qu’être conseillé de s’exprimer à ce sujet auprès de son employeur, de la médecine du travail, des instances représentatives.
 
Le législateur a également souhaité accorder une protection supplémentaire en prévoyant que l’employeur doit assurer la protection de ses salariés.
 
L’employeur ne peut demeurer inerte puisque pèse sur lui une obligation de prévenir, de lutter contre le harcèlement sexuel mais également de le sanctionner (article L1153-5 du Code du travail).
 
Cette obligation est d’autant plus puissante qu’il a été jugé que l’employeur manque à son obligation de sécurité de résultat dès lors qu’un salarié a été victime de faits de harcèlement sexuel et ce, même s’il avait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements (Cass. soc. 13 juillet 2017, n°16-13.734).
 
L’objectif d’une meilleure indemnisation des salariés victimes ressort indéniablement de la volonté de la Cour de cassation de permettre une indemnisation cumulative au titre du harcèlement sexuel et au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat (Cass. soc. 17 mai 2017, n°15-19.300).
 
Néanmoins, il apparait que les victimes n’alertent pas systématiquement leur employeur des faits subis et que les employeurs n’interviennent pas nécessairement et ne prennent parfois aucune mesure visant à sanctionner les auteurs.
Les salariés présents dans les entreprises le reconnaissent eux-mêmes : les informations communiquées quant au harcèlement sexuel sont très faibles et les réactions de l’employeur dans de telles situations sont souvent jugées trop laxistes. En réalité, la personne qui subit la situation sera encore celle qui aura été harcelée puisque sa dénonciation se solde régulièrement par un départ de l’entreprise.
 
Alors, la parole des victimes se libère très difficilement et d’après l’enquête IFOP, 65% des victimes estiment n’avoir pu compter que sur elles-mêmes.
 
La conclusion de cette enquête et les chiffres qui y sont retranscrits mettent clairement en exergue le fait que le harcèlement sexuel est aujourd’hui encore une situation dont l’on a honte et qui favorise l’isolement de ses victimes qui se sentent coupables au lieu de se sentir légitimes à se faire respecter.
 
L’opprobre familial et professionnel est craint.
 
En l’état, le système judiciaire ne permet malheureusement une reconnaissance et une réparation des victimes que des années après les faits.
 
En conséquence, cela explique que nombre de personnes victimes de harcèlement sexuel se sentent aujourd’hui dans une impasse car la dénonciation de tels faits est très difficile et de longs mois doivent s’écouler avant que la justice ne remplisse sa mission réparatrice.
 
D’autre part, l’article 222-33 du Code pénal énonce que le harcèlement sexuel est caractérisé par le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à la dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent une situation intimidante, hostile ou offensante.
 
Le Code pénal assimile également à du harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.
 
De tels actes sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. Les peines peuvent être portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende notamment s’ils sont commis par une personne abusant de son autorité (Article 222-33 du Code pénal).
 
Lorsque les salariés se trouvent dans une telle situation, la réaction à adopter est de déposer plainte dans le délai de prescription qui est désormais de six ans à compter du dernier fait.
 
Néanmoins, cette réaction n’est aujourd’hui pas généralisée puisque les victimes se sentent découragées par des délais de procédure très longs assortis d’un coût important. Il est bien évident que les statistiques n’encouragent pas à faire entendre sa voix en justice puisque seulement 5% des situations évoquées par des femmes victimes ont fait l’objet d’un procès.
 
Le mouvement actuel vise à reprocher aux victimes de ne pas avoir porter plainte mais cette réalité souligne le fait qu’il faut aujourd’hui s’interroger sur les causes profonde de ce silence malgré un arsenal juridique qui apparait suffisant.
 
Or, une fois l’ensemble des obstacles procéduraux, et plusieurs années écoulées, la victime ne percevra qu’un montant minime de dommages et intérêts et les condamnations ne sembleront pas à la hauteur de la gravité des faits.
Il est donc évident que pour les victimes la réponse que la Justice apporte n’est pas celle attendue.
De la situation factuelle et juridique décrite, une seule conclusion s’impose : la libération de la parole est un préalable nécessaire à la meilleure connaissance et reconnaissance des souffrances infligées.
 
La dénonciation d’un harcèlement sexuel ne devrait jamais être vécue comme une humiliation pour la victime et ces initiatives de dénonciations sociales doivent pouvoir ouvrir la porte à des dénonciations en Justice.